Le monstre venu de Corée

A l'occasion des Jeux paralympiques de Pyeongchang, qui se déroulent du 9 au 18 mars 2018, saisis d'une pulsion si archaïque qu'elle remonte vers des profondeurs d'une amplitude presque insoutenable, les courageux archivistes de Secret Fires Magazine lèvent le voile sur la correspondance épistolaire 2017 de Slumpower et son monstrueux Printemps-Été des Monstres 2. En voici la teneur !
  -Pete a.k.a. Freddy Van Ballast

Quand on aime bien le cinoche depuis longtemps et qu’on regarde un peu en arrière, on distingue des moments-clés, on se remémore des moments où tout à coup un film se faisait l’écho d’un besoin plus vaste, recréant un langage suffisamment pertinent pour générer ce qu’on appelle une vague, un courant. Et c’est très stimulant ça, de voir apparaître un langage, des thématiques nouvelles ou un nouveau point de vue sur celles-ci, oui, vraiment, y a rien de plus stimulant que de vivre cela en direct, et de se sentir concerné par ce langage. Ca peut quasi se ressentir très personnellement comme une sorte de libération : enfin, quelqu’un me parle, ou, plus sûrement, enfin quelqu’un parle à ma place.

C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai vu Memories of Murder et découvert pour la première fois ce qu’on appellera par la suite « le cinéma coréen ». Non pas qu’il ait été moins coréen avant bien sûr, mais via une poignée de réalisateurs, Bong Joon-Ho, Park Chan Wook, Na Hong-jin, et plus récemment Sung Bo Shim via l’excellent Sea Fog, il a fini par vraiment prendre la forme d’un courant global, d’une école, ce qui fait que lorsqu’on entend « cinéma coréen » aujourd’hui, pour ceux qui y ont déjà goûté, ça veut dire quelque chose d’assez précis. Ces réals ont au moins deux point communs : un sens de composition du cadre et de mise en scène d’une maîtrise extraordinaire et une volonté s’affirmant d’année en année de tout déconstruire avec une distance clinique parfois très kubrickienne. Vraiment tout, et avec une cruauté, une méchanceté assumée, si nécessaire. Bref, ils ne nous veulent pas vraiment du bien 😉 et semblent s’être donnés le mot d’ordre d’anéantir les fondations de notre imaginaire, de nos structures et modèles de représentation, en s’attaquant aux genres les plus codifiés et en les renversant plus (The Host) ou moins (le très méchant The Strangers) subtilement. Mais pas que.

Un cinéma de la maladresse

Ce qui me touche le plus dans le cinéma coréen, c’est que c’est un cinéma de la maladresse. A trop voir des films, mettons un film de flic, on imagine facilement en cas de souci des gestes maîtrisés de la part du flic lui permettant de sortir son flingue au bon moment et, après quelques tours et détours de viser et tirer sur sa cible pour clôturer en gros le grand arc narratif. Bien sûr, nous avons tous des contre-exemples, des contre-exemples globaux, mais a-t-on vraiment des contre-exemples jusque dans le détail ? C’est plus rare, en général dans un film, par rapport à la réalité, il y a bien trop de gestes codés excessivement adroits pour être honnêtes, de dialogues trop fluides pour représenter la communication courante. Pour rendre justice au réel, nous avons donc besoin du cinéma coréen, un cinéma qui nous rappelle notre maladresse dès qu’un événement nous concerne et nous sort de nos sentiers battus, mettant par là même en exergue notre extrême vulnérabilité. Car le cinéma en général, même s’il met en scène des loosers, est globalement, du comportement des persos à leurs interactions, leurs actions, trop bien huilées pour être réelles, créant une réalité n’étant finalement propre qu’au cinéma, car dans la vraie vie, juste pour qu’une phrase soit vraiment comprise par son interlocuteur, ben c’est pas si évident.

Le cinéma coréen, par moments, semble nous montrer pour la première fois de la réalité dans la fiction, et ça fait tout bizarre, l’impression de la voir représentée pour la première fois, la réalité, avec tous ses contretemps et ses rendez-vous manqués, ses dérapages incontrôlés et dialogues de sourds. C’est absurde, oui, souvent, mais comme les conséquences sont souvent très sérieuses, voir irréversibles, ce n’est pas un absurde qui met de la distance, non, c’est un absurde chevillé au réel, ce sont nos vies, plus ou moins, faites souvent de sorties de routes, de détours et de roues de hamster grippées.

L’absurde n’est donc pas ici un point de vue permettant une quelconque distanciation critique, non, l’absurde c’est la tragédie humaine même et ça nous concerne à chaque instant. Perdre quelqu’un de cher à cause d’une glissade. Le cinéma coréen, c’est un cinéma qui nous dit qu’on n’a pas forcément besoin d’apocalypse nucléaire pour que l’humanité entière se casse la gueule dans les escaliers ; il pourrait bien suffire qu’un fils et son père ne parviennent plus à communiquer, il pourrait bien suffire de rater un train, un seul, ou de ne pas répondre au téléphone.

Cette maladresse, finalement plus propre à l’homme qu’aux animaux, cette grâce qui fait un peu défaut, si peu exploitée, si rarement montrée, cette vulnérabilité de chaque instant, le cinéma coréen – et plus que tout celui de Bong Joon-Ho – en a quasiment fait sa profession de foi. Pour lui, rien de maîtrisé dans le monde des hommes, ce n’est qu’un grand bordel qui ne semble que très vaguement ordonné via quelques institutions diffusant des modes de programmation communs permettant de ne pas nous rentrer dedans les uns les autres à chaque instant, mais ne proposant pas pour autant de direction commune prometteuse, juste une direction commune grosso modo sécuritaire, pas grand chose de plus qu’une rampe d’escalier. Par conséquent, un sérieux absolu n’a aucune raison d’être, c’est au contraire l’illusion suprême, le toc ultime. Pire, cette rampe d’escalier, ces institutions qui nous sécurisent, ne sont-elles pas elles aussi au moins un peu le terreau de notre maladresse même, incubateur de langages communs autant que de gestes robotiques déglingués et mimétiques ?

De la déconstruction à tous les échelons

Comme on sait pas, on va d’abord déconstruire tout, tout ce qui tient debout, à commencer par tous les schémas de représentation populaire, et on verra ce qui reste à la fin. Le chaos absolu, l’enfer partout et à chaque instant pour Na Hong-jin (The Strangers), la communication intuitive et la maîtrise de soi retrouvées pour le plus optimiste Bong Joon-Ho.

Mais dans les deux cas on commence avec une famille fragile, puis on ajoute des misères à leur misère, avec un sens du timing et de progression dans la cruauté proche de la vivisection.

Comment parler des problèmes invisibles de toute une société, et pourquoi pas de tout un monde ? Comment rassembler toutes les espérances déçues d’individus et de tout un peuple ? Comment parler des rapports familiaux, ceux qui la constituent n’ayant jamais appris à communiquer vraiment ? Comment leur donner forme, les mettre en lumière ? Là encore, un moyen de s’y prendre, c’est d’imaginer un monstre perturbateur, un monstre de proximité, un monstre d’ultra-proximité qui, comme toi et moi, est, pour celui qui nous intéresse ici, souvent franchement maladroit et ne sait pas toujours vraiment ce qu’il fait là ;-).

The Host

GWOEMUL / THE HOST (2006)
Joon Ho Bong
imdb | allocine | rottentomatoes

Pas simple de parler de The Host qui est, haut la main, le meilleur film de monstre que j’ai jamais vu, mieux, c’est tout simplement le meilleur film que j’ai jamais vu tous genres confondus, pas simple donc de lui rendre ce qu’il m’a donné. Quand je veux voir un chef d’oeuvre humain, déséquilibré, aussi frappadingue que tragique et puissant, je regarde The Host. Ce film a remplacé le Parrain 2, Voyage au Bout de l’Enfer, Terminator 2 et j’en passe. Pire, à chaque vision, il grandit. Ma passion pour ce film a subi la même mutation que l’espèce de triton de la rivière Han, une croissance aberrante.

Donc difficile pour moi de parler de The Host, je pourrais dire que c’est formellement le film le plus maîtrisé que j’ai jamais vu, avec un travail des seconds et arrière-plans qui est de l’ordre non pas juste du génie, mais presque, par moments, du miracle. On peut s’éclater juste en regardant les arrière-plans, c’est dire. Il s’y passe toujours quelque chose, de bordélique, d’étrangement touchant car étrangement réaliste, vu les circonstances en tout cas, avec une gestion du timing et de la chorégraphie si réussie que tout semble couler de source dans le vautrage collectif.

Je pourrais parler en détail du personnage principal, mon préféré tous films confondus. Alors c’est sûr, pour certain ce ne sera pas très subtil : se faire enlever un bout de cerveau pour au final retrouver la raison et la volonté et guérir de la narcolepsie, c’est pas forcément évident, et pourtant, à mon avis, c’est d’une justesse psychologique et physiologique très fine, tout en restant, dans la forme, une satire très punk et délicieusement grotesque.

Je pourrais parler des apparitions du monstre, toutes réussies, et du monstre lui-même qui, ma foi, ressemble comme deux gouttes d’eau au personnage principal : il ne sait pas trop ce qu’il fait là, il est un peu dépassé par les événements, après tout il n’a pas demandé à muter.. Il bouffe des humains, oui, mais c’est parce qu’on est en ville, qu’il y a rien d’autre, il s’en passerait bien, au fond, de toute cette agitation et ces cris. Pour preuve, dès qu’il a alimenté son garde manger, il va se cacher ;-). Car oui c’est un film de monstre au sens le plus noble du genre, et la déconstruction à ce niveau est moins évidente que pour les autres thèmes du film. Et pourtant elle est bien là, en témoigne sa première apparition, d’une puissance rare et d’une beauté formelle jamais vue en ce qui me concerne, oui il s’agit de grâce, mais pas n’importe laquelle, la même que le perso principal, une grâce jusque dans le vautrage, sans jamais que ça ne pue le tour de force, la maladresse trop étudiée. Non, tout fait sens et sensation, tout semble d’une honnêteté désarmante, comme cette chute du monstre qui suit quasi immédiatement sa première apparition, hop, en un plan séquence complètement fou, d’une poésie de chaque seconde, tout un cinéma en même temps qu’une profession de foi très personnelle se dessine.

Parler de l’évolution des membres de la famille ou de la famille elle-même, qui partout ailleurs aurait été traitée comme un amas de bouseux benêts accidentés par la vie, mais qui est ici présentée avec un réalisme du geste, de l’échange de regards, jusqu’au pied dans le tapis, cette famille nous apparaît aussi dysfonctionnelle qu’immédiatement attachante. Au-delà de ses éléments dysfonctionnels particuliers ou partagés, la richesse d’un individu ou d’un groupe d’individus semble toujours infinie. J’ai perso eu la sensation de l’avoir toujours connue, cette famille. Et petit à petit, les drames s’enchaînant, voir les membres de cette famille perdre petit à petit leurs maladresses pour d’abord trouver son sens et son essence, puis ensemble former un organisme qui dégage une force et une unité dingues, une unité de légende même via une poignée de poses iconiques du plus bel effet, bref, une vraie famille où chacun a trouvé sa place et ce qu’il peut donner à l’autre. Ca fait Disney ce que je dis ? Non, Spielberg peut-être un peu, après tout la famille décomposée, affaiblie, conflictuelle, c’est peut-être l’obsession première que Bong Joon Ho partage avec Spielberg en plus du sens du cadre et du mouvement de dingue. En fait, ce processus qui va de la dysfonction totale et de l’incommunicabilité de chaque instant jusqu’à l’étrange ordonnement fluide et quasi-muet de chacun des personnages avec les autres, il est tellement bien travaillé dans chacune de ses étapes que c’est probablement ce qui me touche le plus dans le film.

Parler de la musique, géniale, bourrine et liquide, poisseuse et bondissante avec des fulgurances surpuissantes (ces frissons lorsque surgit l’intro viscérale du thème du cocktail Molotov!).

Parler de la manière de filmer des décors urbains, des blocs de béton, des ponts métalliques, comme si un ingénieur en génie civil tenait la caméra, ils sont rares les films à donner vraiment corps à un espace d’ampleur, parvenant aussi bien à en faire ressentir l’identité particulière (voir le plan large sublime où la sœur court dans les herbes hautes avec son arc).

Parler de la canette de bière qui relie un père et sa fille par-delà la distance les séparant, faisant office d’improbable foyer des âmes.

Parler des économies de centimes.

Parler d’un concours de tir à l’arc à la télé, à la conclusion tellement emblématique de ce cinéma.

Parler du sanglier, totem du perso principal, vu trop vite comme un paumé intégral et se muant pourtant, en partie par accident, en chevalier protecteur lucide et bourrin.

Parler du final, déchirant, où chaque seconde est une merveille d’humanisme transcendant et d’anarchie déterminée et parvient à montrer l’accomplissement de caractères sublimes et vibrants et à conjuguer plusieurs thématiques dans l’action pure, sans un mot, et ça, c’est plus que du génie, c’est un état de grâce.

Parler d’une glissade précise qui me fait à chaque fois pisser de rire. Ou comment avec un gag « peau de banane » évoquer la fragilité des institutions.

Parler de l’épilogue, délicatement parano, en demi-teinte, inhabituel.

Parler de la première rencontre entre le père et sa fille, en travelling latéral et jeu de gestes parfait.

Parler du premier dialogue de sourds de toute la famille avec un agent de police, ou comment cumuler trois idées en une scène tout en développant chacun des personnages, du génie pur, et hilarant.

Parler de ce plan-séquence oufissime de la première apparition du monstre qui finit par une course sur les berges du fleuve Han via un travelling lateral surpuissant avec une gestion de la lumière sublime. Jamais un monstre n’aura été si bien filmé dans l’action. Plan-séquence qui s’achève par deux chutes, celle du monstre qui se casse littéralement la gueule dans les escaliers, et celle du « héros » qui se viande, ou comment unir deux êtres vivants inadaptés en chanson de gestes.

Parler de ces petits moments de pure poésie qui partout ailleurs tomberaient comme un cheveu sur la soupe mais ici parviennent étrangement à toucher alors qu’il s’agit de bizarreries bien schlaguées du galetas (voir le diner familial muet et halluciné dans le snack abandonné).

Parler des dialogues, merveilleux :

  • « Elle est née par accident, elle est morte par accident. »
    (Profession de foi d’une bonne moitié de ce qui nous vient de Corée.)
  • « Dis donc toi, ca vallait bien le coup d’être diplômé vu comment tu parle aux flics. »« Mais qu’est ce que ça a à voir avec mon diplôme ? »
  • « Aussitôt qu’il se pose quelque part, il pique un roupillon, comme un poulet malade. »
  • « Elle est décédée, mais elle est pas morte. »
  • « J’ai sacrifié ma jeunesse à la démocratisation de ce pays et ces enfoirés m’donnent même pas d’boulot. » 
  • « Tu veux le laisser tranquille, il veut être sûr d’être désinfecté. »

Parler de cette progression des personnages qui miment quasi tout du long maladroitement des manières d’être, essaient de communiquer « comme il faudrait » et continuent à se cogner contre les murs, puis petit à petit n’écoutent plus que leurs sentiments premiers et laissent le corps et la bouche faire, accédant à une fluidité inespérée, c’est très intelligent car c’est montré sans jamais être souligné, tout en progression sensible.

Bref, chez Bong Joon-Ho, il y a du Kubrick dans la description impitoyable de tragédies humaines (avec cette même distanciation un peu démiurgique et glaciale par moment, comme s’il filmait un monde de pantins dépassés par les évènements), il y a du Spielberg (cet attachement maximum aux personnages via des mouvements pour les servir par le prisme de leurs émotions), du Peter Jackson (un sens du spectaculaire et de l’épique généreux et décomplexé), du Jacques Tati (le comique de situation, le grotesque, l’absurde, tout ces petits décalages et ruptures de ton qui étrangement renforcent encore les moments dramatiques), du Fincher (le monde est tout pourri, etc, on est tous dépassé par les événements, y a rien à faire, blabla) et le fruit de toutes ces influences aboutit pourtant à quelque chose de très très personnel, car on n’est pas dans la citation mais dans une oeuvre entière, accomplie, et le triomphe d’un artiste en pleine possession de ses moyens.

Et puis on en ressort lessivé, comme après avoir traversé une vraie grande aventure, et ça, c’est pas tous les jours. Et en repensant à chacun des personnages de cette famille, on remarque qu’on les aime tous, que ce sont devenus nos potes, qu’ils se sont vraiment incarnés à l’écran, loin des archétypes d’usage. Vous vous souvenez du dernier film de moins de deux heures parvenant à faire exister pleinement 6-7 personnages tout en proposant un vrai grand spectacle ? (si oui j’suis preneur)

Enfin, revenons sur le monstre, excellent mélange de plusieurs espèces aquatiques et de créatures lovecraftiennes, il ne ressemble à rien de connu et pourtant semble tout à fait pouvoir exister, il y a une  cohérence dans ses formes et son comportement. Jamais un monstre ne ressemble autant dans son caractère, ses mouvements, aux propos et au film tout entier, il est le miroir du personnage principal et celui de tous les inadaptés. Alternant maladresse et élans d’instinct redoutables, pose iconique de malade et trébuchements en tout genre, il a une vraie personnalité très loin de la fonction basique de menace et va rejoindre le bestiaire mythique inoubliable aux côtés de Godzilla, King Kong, Predator, etc. Aucune de ses apparitions n’est surfaite, artificiellement rallongée, tout concourt à le faire exister de la plus tangible des manières, au point de créer régulièrement de l’empathie.

Voilà donc The Host, et c’est plus que jamais le cas de le dire, c’est de la bonne bière, fraîche.

Un peu de Corée, en vrac

Memories of Murder

Référence incontournable du polar coréen, sans doute LE film qui a révélé le cinéma coréen aux yeux des cinéphiles du monde entier et diffusé à un plus large public cette tonalité toute particulière. Un film de l’acte manqué, l’absurde dans toute sa drôlerie puis sa cruauté, y a du Camus dans l’enquête de ces bras cassés, mais sans rédemption ici.

SALINUI CHUEOK  / MEMORIES OF MURDER (2003)
Joon Ho Bong
imdb | allocine | rottentomatoes

Sympathy for Mr Vengeance

Film-choc d’un réalisateur sadique qui cherchera les raisons de sa violence jusqu’à trouver une variation enfin libératrice dans le récent Mademoiselle. En l’état ce film reste une bombe cradingue avec une énergie furieuse.

Mademoiselle

Ici c’est l’esthète Park Chan Wook qui parvient à contredire ses propres mécanismes habituels, et le principe même de mécanisme cinématographique, pour ouvrir la voie à des sentiments plus vrais, moins complaisants dans la violence. Déjà un classique d’une sensibilité plastique toujours virtuose mais sans doute moins m’as-tu vu qu’auparavant.

The Strangers

Un film monstrueux plus qu’un film de monstres, absolument jusqu’au-boutiste, sans échappatoire, sans repos, sans pitié, avec des qualités formelles immenses entièrement au service du malaise et des scènes jamais vues en pagaille. Le chaos total tout de suite, c’est bien simple, quand on pense que ça va très mal, ce n’est que le début. Vénéneux, hanté, mystique et naturaliste, rigoureusement impitoyable, une vraie folie noire qui irradie et déborde de chaque plan. Vous êtes prévenus, c’est très très sale.

Sea Fog

Tu veux de la dépression jusqu’au bout avec des lumières et un cadrage de folie ? Avec une efficacité à toute épreuve et, en filigrane, le procès de tout un monde au bord de l’explosion ? Ca s’appelle Sea Fog et c’est une tuerie.

Dernier Train pour Busan

Blockbuster zombiesque efficace et souvent inventif, au final pas si classique car l’essentiel semble être ailleurs, les zombies permettant surtout de réveiller de force l’humanité du personnage principal.

The Terror Live

Le benêt plus ou moins volontaire cotoie le cynisme le plus décomplexé, une petite leçon de cinéma du point de vue degré de tension versus moyens à disposition.

  • DEU TAE-RO RA-I BEU / THE TERROR LIVE (2013)
    Byeong-woo Kim
    imdb | allocine | rottentomatoes

    Note du rédacteur

    À noter qu’après avoir excellé dans le misérabilisme, la cruauté et la déconstruction tous azimuts des codes familiers, le cinéma coréen, au vu de l’intelligence et de la sensibilité d’une poignée de réalisateurs, risque fort de se lasser de ses propres codes développés depuis près de 20 ans, d’arriver au bout d’un cycle et de prendre un virage passionnant avec quelque chose comme « la recherche de solutions », de s’ouvrir vers un futur peut-être moins parano et de s’axer davantage sur les voies de renaissances, collectives notamment. Car ils sont encore jeunes tous ces génies atypiques, et tous suffisamment anarchistes pour voir plus loin que ce formidable inventaire des bégaiements et actes manqués qu’ils nous ont proposé jusqu’ici (il y a déjà un peu de ça dans le final de The Host et celui de Mademoiselle: l’idée de résurrections inattendues au cœur même du chaos).

  • BONUS: Le monstre selon Slumpower

    Le monstre comme un révélateur de soi, du monde, et du rapport de soi au monde et du monde à soi. Mais pas n’importe quel soi : celui qui se réprime, s’interdit, s’isole, celui qui voit s’éteindre ses rêves dans le même mouvement, celui aussi qui refuse de vieillir ou de ressembler à ce dont, plus jeune, il se moquait. Quand l’étau se resserre et que les supports amicaux, sociaux s’amenuisent, le monstre apparaît comme organisation organique qui dit « stop », « non » ou « je le ferai, envers et contre tout ».

    Le monstre comme rempart à l’embourgeoisement, quand les voies éclairées pour l’éviter y mènent malgré nous.

    Le monstre qui apparaît quand le langage est perdu ou ne mène pas vers nos désirs authentiques.

    Le monstre comme dernier accès au désir, aux désirs. Lorsque des idéologies malades nous gouvernent et patinent, toute idéologie hégémonique dotée de flagrants axes exclusifs engendre par dédain de la diversité, de nouvelles images de monstre. Du puritanisme (toujours largement à l’oeuvre, on ne baise toujours pas dans la rue à midi) au moralisme (religieux ou non) en passant par le capitalisme dans sa forme ultra-compétitive (créant une tension et angoisse permanente, ferment idéal à toute vision monstrueuse).

    Le monstre comme porte-voix, dernier cri, lorsque les savants, les progressistes, les poètes, les sphinx et les aigles vigilants sincères ne savent ou ne peuvent plus nous parler de manière à ce qu’on les entendent.

    Le megaphone est cassé, tu prêches dans le désert depuis longtemps ? C’est alors l’heure du monstre.