Le Craeybeckxtunnel, entre le ring d'Anvers et la E19

Aux abords du ring

En Europe, lorsqu’on roule sur l’autoroute en direction d’une grande ville, le voyage est généralement calme et monotone. Nous réglons notre cruise control sur cent vingt, cent trente, cent soixante kilomètres à l’heure peut-être, cela dépend des sensibilités, mais enfin nous progressons insensiblement en direction de la grande ville. Michel Houellebecq l’exprime très bien lorsqu’il évoque en alexandrins son voyage dans un wagon Alstom :

Dans la géométrie des parcelles de la Terre,
Nous roulons protégés par les cristaux liquides
Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre,
Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.

Néanmoins la comparaison s’arrête aux abords de la grande ville. Car là où, vus depuis le train, les zones industrielles et les terrains vagues se substituent progressivement à la campagne, en voiture la situation est toute autre.

En voiture, que le paysage soit formé jusqu’au dernier moment d’arbres pudiquement disposés au bord de l’autostrade, ou qu’au contraire on le sente peu à peu s’agglomérer sous l’attraction de la grande ville, il existe dans l’extrême majorité des cas un moment de rupture, celui du périph’.

Chaque abord routier de grande ville européenne a son charme propre, mais ce moment précis présente assez de similitudes d’une grande ville à l’autre pour représenter un genre en soi.

L’arrivée sur le périphérique est un moment d’une grande puissance émotive chez ceux qui, de manière névrotique sans doute, trouvent le Beau dans l’urbanisme et l’agencement des voies de circulations et des panneaux routiers.

Selon les cas, elle provoquera chez le sujet une extase telle que celle provoquée par la vision d’une toile de Van Eyck par un amateur des maîtres flamands, sans même parler de celle vécue par Sainte-Thérèse lors de sa transverbération.

Lors de l’arrivée sur le périphérique, une rupture se produit. Alors qu’il y a une minute encore, on constatait comme une curiosité l’adjonction à la route d’une ou deux bandes de circulation, on entre en un instant dans le frémissement de la grande ville.

Sur le périphérique les codes changent. Les voitures roulent de manière plus serrée, les automobilistes se font plus pressés. Leurs plaques d’immatriculation portent toutes la marque de la grande ville ou de sa proche banlieue et les intrus sont rares, car une fois entrés dans la grande ville il n’est plus question de véhicule de tourisme, plus question de province ni d’étranger, ou alors des destinations exotiques situées à un jour de route à tout le moins.

La grande ville n’est plus mentionnée, car la grande ville est évidente. Les quartiers forment une nouvelle granularité. Les arrêts de métro une nouvelle toponymie.

Les limitations de vitesse changent. Les panneaux changent. Les couleurs changent. Les odeurs changent. Les directions se font plus cryptiques, l’horizon plus mystérieux.

À ce moment, certains poussent leur cassette de Robert Armani dans le lecteur, rétrogradent d’une vitesse, se déportent d’une bande sur la gauche et donnent un petit coup d’accélérateur en criant négligemment « Oua-ho ! » Votre serviteur est de ceux-ci.

-Pete a.k.a. Freddy Van Ballast

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Crédits photographiques : Ilias Katsouras