Dans cette interview de 1959 pour Radio Canada avec Pierre Nadeau, Jack Kerouac parle de ces écrivains préférés et plus spécifiquement de Louis-Ferdinand Céline. Vous trouverez ci-dessous un essai de retranscription de ce beau document.
Moi je trouve que le plus grand écrivain du monde c’est Louis-Ferdinand Céline – que son nom… son vrai nom c’est Destouches, il est un docteur… Docteur Destouches – parce qu’il a écrit des grands… comment on dit ça, “epic”… de grandes épopées de la vie moderne mieux que tous les autres.
Quand il était sur un bateau qui s’en allait en Afrique, qu’il était un passager, le monde ne l’aimait pas. Les femmes [disaient] : “ Cet homme-là, ce docteur, il est fou !” Mais un soir, quand les hommes étaient prêts à frapper le pauvre docteur Destouches [sur] sa gueule, il a empoigné la main du premier gars puis il a dit “Vive la France !”
Et après ça, il est descendu sur le bord du bateau avec des nègres, sur un bateau, un petit bateau… boum ! L’Afrique. Le Voyage au bout de la nuit.
Puis aussi il a écrit Mort à crédit, qu’on appelle ici “Death on the Installment Plan”. Ca c’est beau. Ca c’est le plus grand.
Après ça, je dis que Genet est le plus grand écrivain. Il y a seulement deux grands écrivains aujourd’hui. Oh ! Mais il y en a un autre, un grand satiriste, William Seward Burroughs de la fortune de la Burroughs Adding Machine, tu connais la Burroughs Adding Machine ? Il est un descendant… son grand-père a inventé ça. Et encore Allen Ginsberg, et Gregory Corso un Italien, enfin un Italien…
Il y a des poètes intéressants aussi, comme Peter Orlovsky, Philip Lamantia, aussi au Canada, qu’est-ce que c’est son nom, Dubé, à Montréal… qu’est-ce que c’est son premier nom ? Marcel, Marcel Dubé. Les grands hommes ! Blaise Cendrars… Mais Sartre, Camus, Michaux et Malraux et Mauriac et Maurois et Gide, c’est tous des…
Mois je dis que les grands écrivains ne gagnent jamais les grands prix. On ne donnera jamais le grand prix à Céline… et à Genet… et à Burroughs…
Et à Kerouac ?
Oh oui, moi je suis populaire ! Moi je peux avoir les prix si je les… mais quand ils m’offrent le prix, s’ils m’offrent le prix Nobel quand j’ai cinquante ans, s’ils ne l’ont pas encore donné à Louis-Ferdinand Céline, si Céline est encore en vie, je vais dire “Non, je ne veux pas l’avoir, donne-le à mon maître !”
Illustration : « Jack Kerouac #2 », un sosie de Jack Kerouac marchant dans les rues d’Istanbul (Devin Smith, 2011, License CC BY 2.0)